Etre de « droite » aujourd’hui
Placée sous le feu des critiques dès lors qu’il s’agit d’évoquer une supposée collusion entre le Front National et les Républicains, l’on taxe de plus en plus la droite dite « républicaine », ou parfois « molle » (par opposition à la droite « dure », le Front National) de faire le jeu, pour des raisons bien sûr électorales, de celui-ci en réveillant comme toujours chez une majorité des Français le sentiment nationaliste, voire xénophobe. Certes, le rejet de l’autre, quel qu’il soit, nous rappelle les heures les plus sombres de l’histoire européenne, mais de là à confondre un réel sentiment d’insécurité, et, pourrions-nous dire, à l’instar d’un Alain Finkelkraut, d’« invasion culturelle », liée à une problématique complexe de redéfinition de notre identité nationale, avec ce qui a fondé les théories nazies que l’on connaît, il y a un pas qu’il nous est impossible, au nom du simple réalisme, de franchir.
Concernant le clivage droite/gauche, plus mouvant aujourd’hui que d’aucuns le pensent, l’on peut se rappeler que depuis la Révolution française, grosso modo, l’on a d’abord opposé la droite et la gauche sur la base de ce que l’on pourrait nommer, d’un côté, le libertarisme, et de l’autre, l’égalitarisme. Responsabilité individuelle pour la droite, effort collectif pour la gauche… Mais force est de reconnaître qu’aujourd’hui, et ce depuis au moins 1945 et l’instauration de la sécurité sociale (par le Conseil National de la Résistance présidé par De Gaulle), les lignes ont plus que bougé. Nous vivons actuellement- que les gouvernements soient de droite ou de gauche- dans un Etat-Providence qui vient en aide, par le biais de la « solidarité nationale », autrement dit les impôts, aux plus faibles ou aux plus « malchanceux ». Ce qui est juste et ne devrait pas, à nos yeux, être sans cesse remis en cause par les extrêmes.
Or la droite, lorsqu’elle est au pouvoir, ne revient pas réellement sur ce système de redistribution- preuve que, d’une certaine manière, celle-ci a intégré depuis déjà longtemps nombre de valeurs dites de gauche, et ce que d’ailleurs peu peuvent sans malhonnêteté remettre en cause. En effet, dans sa majeure partie, notre société se réclame, aujourd’hui encore, d’un « destin collectif », où l’on se doit tous de se serrer les coudes, d’une certaine manière. Selon tous les sondages, les Français n’ont en effet de cesse de réclamer le retour des valeurs de solidarité et d’entraide, socle historique de notre République (n’oublions pas que sans la « fraternité », liberté et égalité sont des concepts vides, ou du moins infructueux)… La notion d’égalitarisme semble en tout cas avoir encore de beaux jours devant elle, même aujourd’hui dans la pensée de droite qui, loin d’être aussi « hiérarchiste », élitiste qu’à une certaine époque (lorsqu’elle faisait des différences sociales l’assise, en quelque sorte, de son libertarisme), s’est en somme convertie définitivement à la République. Quelles sont, dès lors, ces valeurs plus ou moins collectives dont elle se réclame, ou doit se réclamer ? Il semblerait d’abord que, quoi que l’on en dise, le « nouveau » nationalisme (réaction surtout, identitaire) qui est bien souvent le porte-drapeau tant décrié de la droite par trop considérée dans son entièreté aujourd’hui (confondue, même, parfois, avec le FN), est, peut-être, à même également de fonder sa future légitimité. Je m’explique.
En effet, et l’exemple des Etats-Unis est là pour nous le rappeler, un patriotisme fervent, qui se tiendrait évidemment dans de justes limites, n’engendre-t-il pas, et assez naturellement, cette vertu fondamentale qu’est le simple civisme ? Respect des lois démocratiques, de l’ordre, souci de l’autre en ce que celui-ci est considéré comme un « concitoyen », un semblable digne de notre intérêt - quelle que soit son origine - et donc de notre aide… Ces règles de comportement ne sont-elles pas, enfin, l’unique condition de survie pour toutes les valeurs qui sont les nôtres, et qu’hélas, si peu de Français osent défendre ouvertement, de peur d’être considérés comme de sectaires conservateurs ? Telle est pourtant, selon ce qui me semble, une réponse (traditionnelle, certes, mais sans doute plus efficace que le tout sécuritaire paranoïaque) à la profonde crise d’identité et de citoyenneté que traversent et la France et la droite. La droite « républicaine », elle, devrait donc justement prôner ce civisme, et ce dans l’éducation, la politique familiale et d’immigration, car dans un autre sens, on ne pourra faire véritablement barrage au « torrent » FN qu’en intégrant, ne serait-ce qu’en partie, des mesures qui seraient susceptibles d’être entièrement « désextrêmisées », car potentiellement compatibles avec les valeurs démocratiques et, surtout, au final, salutaires… en ces temps de crise ouverte.